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Le Rwanda et l'UE renforcent leur coopération minière

Carole Assignon
21 février 2024

L'UE et le Rwanda ont signé un accord de coopération pour l'exploitation de minerais alors que l'Occident est citiqué pour son silence sur les agissements de Kigali en RDC.

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Des mineurs sur un site d'exploitation
Des travailleurs du secteur des mines au RwandaImage : Ute Schaeffer

L'Union européenne et le Rwanda ont conclu le 19 février un protocole d'accord pour renforcer leur coopération dans le secteur des mines notamment en ce qui concerne des matières premières critiques comme le tantale, l'or et le tungstène. Bruxelles insiste sur la traçabilité et la lutte contre le trafic de minéraux que garantirait cet accord.

Mais la Commission européenne justifie aussi son choix par " l'Etat de droit " qui existerait au Rwanda, un pays connu pourtant pour la répression des opposants politiques.

Le contexte dans lequel cette signature a eu lieu est par ailleurs problématique, alors que lundi dernier, des drapeaux de l'Union européenne ont été brûlés par des manifestants à Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo. Ceux-ci reprochaient aux Etats occidentaux leur silence sur les agissements du Rwanda en RDC.

"L'hypocrisie totale de l'UE"

En signant ce protocole d'accord, l'Union européenne et le Rwanda entendent renforcer leur coopération dans le secteur minier rwandais, notamment la traçabilité et la lutte contre le trafic illicite de minerais.

Ce dernier point n'est pas anodin puisque le Rwanda est accusé par la République démocratique du Congo, son voisin, de piller ses ressources minières dans l'est de son territoire, notamment ses mines d'or.

Vincent Biruta, le ministre rwandais des Affaires étrangères, a assuré que son pays "attache une grande valeur à son partenariat avec l'UE et se réjouit de ce nouveau renforcement de la collaboration”.

De l'or dans une main
Les rapports des experts de l'Onu sur la RDC rappellent que l'or traité au Rwanda est en grande partie sorti illégalement de RDCImage : Alexis Huguet/AFP/Getty Images

Même contentement du côté de Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur, qui dit ceci :

"Le Rwanda est un important fournisseur de tantale, d'étain, de tungstène, d'or et de niobium, et il dispose de réserves de lithium et de terre rares. Par ce partenariat mutuellement bénéfique, nous voulons mettre en place une chaîne de valeur résiliente et durable pour les matières premières, couvrant l'extraction, le raffinage, la transformation, le recyclage et le remplacement. La transparence, la traçabilité et les investissements sont au cœur du partenariat UE-Rwanda dans le domaine des matières premières critiques.”

La Commission européenne se félicite du fait que, "une raffinerie d'or existe déjà (au Rwanda) et une raffinerie de tantale sera bientôt opérationnelle". Or, les rapports successifs des experts de l'Onu sur la RDC rappellent que l'or traité dans cette raffinerie est en grande partie sorti illégalement de RDC.

Selon l'Office des mines du pays, en 2023, les recettes d'exportation de minéraux du Rwanda ont augmenté de 43% pour atteindre plus de 1,1 milliard de dollars. L'objectif du pays est de générer 1,5 milliard de dollars de recettes annuelles d'exportation de minerais en 2024.

Parmi les minéraux qui ont dopé les exportations, il y a notamment l'or, ou encore le coltan.

Quasiment 60% de ces exportations sont dirigées vers les Emirats arabes unis ou la Chine. L'Union européenne a donc du retard à rattraper et c'est ce qui pourrait inciter Bruxelles à être moins regardant sur la démocratie : "grâce à l'Etat de droit et à un environnement favorable aux investissements, le Rwanda a la capacité de devenir une plaque tournante dans le domaine de la création de valeur ajoutée dans le secteur des minerais", précise la Commission européenne.

"Le Rwanda est une prison à ciel ouvert"

Mais pour Bernard Ntaganda, président du Parti Social Imberakuri au Rwanda, le timing est mal choisi pour signer un accord minier.

Il évoque les tensions diplomatiques entre Kigali et Kinshasa, qui accuse son voisin de soutenir les rebelles du M23 dans l'est de son territoire, ce qui lui permettrait de piller les ressources minières dans la province du Nord-Kivu.

"L'Union européenne recense sans cesse les violations graves des droits de l'Homme ici au Rwanda. La même UE passe des accords avec le gouvernement rwandais. Cela nous montre l'hypocrisie totale de l'UE", estime-t-il.

Bernard Ntaganda insiste par ailleurs sur le fait que le Rwanda n'est pas un Etat de droit mais "un pays qui bafoue les droits fondamentaux, les droits de l'homme. Le gouvernement rwandais tourne le dos à la démocratie (...). Vous avez un pays où on a des opposants en prison, des journalistes en prison... Il y a ceux qui ont perdu la vie pour avoir exercé leur métier au Rwanda. On sait que le Rwanda est une prison à ciel ouvert", assure-t-il.

Réactions en RDC

Du côté de la RDC, on observe avec inquiétude le renforcement de la coopération entre l'Union européenne et le Rwanda, souligne le juriste Jean-Claude Katende qui travaille également pour la promotion des droits de l'Homme et la transparence des industries extractives.

"Les violences dans l'est de la RDC ne vont pas cesser"

"Tout le monde sait qu'en ce qui concerne les matières stratégiques, le Rwanda n'en a pas en grande quantité. La partie importante des minerais que le Rwanda utilise ou exporte vient de la RDC. Cet accord va contribuer à ce que le Rwanda renforce sa stratégie de pillage des ressources en RDC pour répondre aux exigences de cet accord. Avec cet accord, les violences dans l'est de la RDC ne vont pas cesser. L'UE vient de montrer qu'elle ne prend pas en compte ce qui se passe dans l'Est", déplore Jean-Claude Katende. 

Le chef de l’Etat a critiqué jeudi (22.02.2022) ce protocole d’accord entre le Rwanda et l’Union européenne. Selon lui, ce protocole, "encourage le pillage des ressources naturelles congolaises par le Rwanda".

"Quand vous achetez le produit d'un receleur, vous êtes vous-même coupable de vol", a lancé Félix Tshisekedi lors d'une conférence de presse. "Donc, l'Union européenne, j'espère, ne va pas jouer ce jeu-là", a-t-il poursuivi, en affirmant que son pays allait "user de toutes les voies, diplomatiques et judiciaires, pour faire annuler ce +MoU+" (memorandum of understanding), pour "empêcher cette ignominie".

L'est de la RDC, riche en ressources minières, où les affrontements entre l'armée et les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda selon les Nations unies, ont provoqué la fuite de centaines de milliers de déplacés et l'encerclement de Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu, une ville de deux millions d'habitants.

Dans un communiqué, le mouvement citoyen " Lutte pour le changement ", Lucha, exprime aussi son inquiétude au sujet de l'impact que pourrait avoir le renforcement de ce partenariat entre l'Union européenne et le Rwanda. La Lucha demande notamment à Bruxelles de suspendre de toute urgence l'élaboration de la feuille de route qui fixe les mesures de mise en œuvre de ce partenariat dénommé Global Gateway. Le mouvement citoyen souhaite également que l'UE conditionne l'aide au développement et le partenariat militaire avec le Rwanda au retrait de ses troupes déployées en RDC.

 

Article mis à jour vendredi 23.02.2024 à 13h53TU

DW Französisch Carole Assignon
Carole Assignon Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welledw_afrique