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HRW dénonce des crimes de guerre au Burkina Faso

25 avril 2024

Human Rights Watch accuse l'armée burkinabè de massacres sur des civils dans le nord, fin février 2024.

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Des soldats de l'armée du Burkina Faso dans la rue, appuyés contre un pick-up (archive de 2022)
L'armée burkinabè se rend coupable d'exactions contre des civils, dénonce HRWImage : picture alliance / ASSOCIATED PRESS

Human Rights Watch dénonce des exactions parmi "les pires commises par l'armée du Burkina Faso depuis 2015".

L'ONG de défense des droits humains accuse l'armée d'avoir "exécuté au moins 223 civils", dont des dizaines d'enfants, dans deux villages du nord du pays. C'était fin février.

L'organisation soupçonne des crimes de guerre et réclame aux autorités burkinabè de transition de réagir.

Des témoignages bouleversants

Les faits remontent à février et sont révélés ce jeudi dans un rapport publié par Human Rights Watch qui affirme que les forces de sécurité burkinabè auraient "tué 44 personnes, dont 20 enfants, dans le village de Nondin, ainsi que 179 autres personnes, dont 36 enfants, dans le village voisin de Soro". Ces deux localités sont situées dans la province du Yatenga, dans le nord du pays.

Pour établir ce décompte, l'ONG s'est entretenue avec des témoins des tueries, des militants de la société civile locale, des membres d'organisations internationales. Les survivants ont relaté des scènes traumatisantes, raconte Ilaria Allegrozzi, chercheuse sur le Sahel à Human Rights Watch : 

"Ils nous ont décrit comment les militaires sont arrivés en convoi, avec des véhicules et portant des uniformes de l'armée burkinabè. Les soldats ont fait du porte-à-porte, ont fait sortir les gens, les ont regroupés puis ils ont ouvert OK le feu sur ces civils, des hommes, des enfants, des femmes, des vieillards."

HRW a également étudié des documents (vidéos et photos) partagés après ces tueries par des survivants. Les informations collectées ont corroboré leurs dires et permis de localiser plusieurs fosses communes.

Les Burkinabè débattent des réquisitions forcées

Lutte antiterroriste dans le Sahel

Les Forces de sécurité (FDS) du Burkina Faso luttent contre plusieurs groupes armés très violents, principalement le GSIM et l'Etat islamique dans le Grand Sahara.

Ces deux groupes ont revendiqué ces derniers mois plusieurs attaques de casernes, mais aussi de camps de personnes déplacées, d'habitations, de lieux de culte.

Les 24 et 25 février 2024, des djihadistes auraient lancé des attaques "coordonnées simultanées", selon les autorités burkinabè. Le lendemain, le ministre de la Défense, Mahamoudou Sana, a expliqué sur la chaîne publique RTB que l'armée avait donc répliqué par des opérations antiterroristes, couronnées de succès.

"Nous sommes dans une dynamique de reconquête, et nous sommes dans une dynamique d'infliger le maximum de perte à l'ennemi", a ainsi expliqué  le ministre à la télevision. "L'ennemi entreprend des actions pour pouvoir nous décourager. Mais cela également, c'est sans compter sur la résilience et la détermination du peuple burkinabè. Cela également est un message à l'endroit de l'ennemi pour qu'il comprenne que désormais le peuple est debout, et que le peuple burkinabè va se battre pour défendre sa patrie."

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Complicité passive, complicité active et dénonciations

Toutefois, durant cette interview à la RTB, Mahamoudou Sana n'a pas évoqué les victimes civiles des violences, y compris celles commises par les FDS. Le ministre en a toutefois profité pour rappeler sans ambages les attentes des autorités envers les citoyens.

"Il faut que la population sache que, désormais, il faut participer fortement à la coproduction en matière de sécurité, et cela à travers les dénonciations des individus suspects, le signalement d'objets suspects", poursuit le ministre de la Défense avant d'ajouter, comme une mise en garde à ses concitoyens qu'"il faut éviter la complicité passive ou active".

Il s'explique en ces termes : "Quand je parle de complicité active, et ça agit, des individus qui, délibérément, appuient ces ennemis à pouvoir atteindre leur objectif, notamment dans le transport, la logistique ou bien dans l'appui, l'aide au financement de certaines actions. […] La complicité passive, il s'agit du profil bas : vous avez des comportements suspects qui peuvent être détectés mais certains citoyens se diront: ce n'est pas mon travail, c'est le travail des FDS.[…]  Je tiens à préciser ici que le Code pénal est clair : tout complice est sanctionné à la hauteur, au même titre que l'auteur."

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Les civils pris entre le marteau et l'enclume

Ilaria Allegrozzi, de HRW, critique cette politique qui ne dit pas son nom : "Ces deux attaques [à Nondin et Soro] sont des attaques de représailles perpétrées par les Forces de sécurité contre la population civile, accusée d'être complice, de collaborer, de soutenir les djihadistes qui pourtant contrôlent la zone, y font des ravages et s'attaquent aussi aux civils. Les civils se retrouvent entre deux feux."

Pour l'heure, les autorités n'ont pas apporté de réponse officielle aux accusations de l'ONG mais selon Ilaria Allegrozzi, les allégations ne devraient pas les surprendre :

"Ce qu'il faut retenir, c'est le courage des survivants et leurs familles qui, dès le lendemain de ces massacres, se sont rendus à la gendarmerie de Ouahigouya pour faire une déposition. […] Notre rapport ne devrait pas surprendre les autorités. Elles sont au courant. Au lendemain de ces massacres, le procureur du tribunal de Ouahigouya, la principale ville de la région, a annoncé l'ouverture d'une enquête", dit-elle.

HRW souligne par ailleurs que les massacres de Nondin et Soro s'inscrivent dans une stratégie et sont loin d'être des événements isolés. L'ONG souhaite que les autorités permettent que l'enquête avance de manière indépendante pour juger les responsables de violences qui pourraient s'apparenter à des "crimes de guerre" ou des "crimes contre l'humanité". Avec le concours des Nations unies ou de l'Union africaine.

HRW réclame aussi, à l'Etat burkinabè et à ses partenaires étrangers qu'ils viennent en aide aux victimes et leurs proches, en leur fournissant une assistance matérielle, psychologique et  médicale. Et en prévenant ce type de violences à l'avenir.

Mise en garde de l'Allemagne

Le ministère allemand des Affaires étrangères met par ailleurs en garde les touristes contre un risque accru d'actes terroristes et d'enlèvements au Burkina Faso. L'organisation catholique "Kirche in Not" signale quant à elle que plusieurs chrétiens auraient été enlevés et d'autres tués dans un village près de Fada N'Gourma, dans l'est du pays.