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HistoireAllemagne

L'espion Guillaume et Willy Brandt // Grada Kilomba questionne le colonialisme dans son art

25 avril 2024

Il y a 50 ans, l'affaire Guillaume entraînait dans son sillage la démission du chancelier Willy Brandt. Retour sur un des plus gros scandales d'espionnage de l'Allemagne d'après-guerre. // Au Brésil, une exposition de l'artiste Grada Kilomba au musée d'Inhotim questionne l'esclavage et le colonialisme.

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Le 24 avril 1974, à 6h30 du matin, la police arrête Günter Guillaume à son domicile. L'assistant personnel du chancelier Willy Brandt est accusé d'espionnage au service de la RDA. 

Willy Brandt et son assistant Günter Guillaume (à droite sur la photo) lors d'un congrès du SPD en avril 1973
Günter Guillaume (à droite) était l'assistant personnel de Willy Brandt entre 1969 et 1974Image : Sven Simon/picture alliance

Quelques heures plus tard, alors qu'il vient d'atterrir à l'aéroport de Cologne-Bonn de retour d'un voyage officiel, le chancelier est informé sur le tarmac par le ministre de l'Intérieur Hans-Dietrich Genscher. Il écrira plus tard dans ses mémoires avoir accueilli cette nouvelle comme "un coup de massue". 

Deux semaines après, le 6 mai, le chancelier annonce sa démission...

"Ce soir j'ai présenté ma démission au président fédéral et assumé la responsabilité politique et personnelle pour les négligences en rapport avec l'affaire de l'agent. Personne ne pouvait prendre cette décision à ma place", déclare Willy Brandt.

Cela faisait cinq ans que Günter Guillaume travaillait auprès de Willy Brandt, depuis l'élection de ce dernier comme chancelier en 1969. Mais ses activités d'espionnage remontaient à bien plus loin...

Au service secret de la Stasi

Günter Guillaume et son épouse Christel arrivent en RFA, l'Allemagne de l'Ouest, en 1956, officiellement comme réfugiés de la RDA, l'Allemagne de l'Est. 

Les Guillaume lors de leur procès en 1975 pour haute trahison
Günter Guillaume et son épouse Christel, un couple apparemment sans histoire... en réalité des espions de la StasiImage : Roland Scheidemann/dpa/picture-alliance

Installés à Francfort, le couple tient un café et mène une vie apparemment sans histoire. Mais derrière cette façade se cachent deux agents formés parla Stasi, le service de renseignement est-allemand.

Günter Guillaume s'engage dans la section locale du parti social-démocrate dont il monte petit à petit les échelons, notamment en montrant ses talents d'organisateur de campagne électorale. C'est comme ça qu'il est recruté en 1969 pour rejoindre l'équipe du chancelier nouvellement élu. 

Et pourtant, souligne Ulrich Pfeil, professeur de civilisation allemande à l'Université de Lorraine-Metz, les services secrets de la RFA ont à l'époque déjà des doutes sur ses activités d'espionnage...

"Ils ont intercepté des messages cryptés par la Stasi à Günter Guillaume en RFA. Mais pour les services ouest-allemand, la grande question, c'était : est-ce qu'on est-ce qu'on va rendre ça public ? Ou est-ce qu'on garde pour l'observer pour voir ce qu'il fait, pour ne pas montrer à l'autre côté qu’on l‘avait finalement déjà démasqué."

Démasqué mais pas encore arrêté 

Pendant cinq ans, Günter Guilllaume va donc régulièrement envoyer des informations à la Stasi sur les activités du chancelier de la RFA. Il est là lorsque Willy Brandt engage son pays dans l'Ostpolitik, c'est-à-dire vers la normalisation des relations avec l'URSS et les pays de l'Est - nous sommes en pleine Guerre Froide - y compris avec la RDA. 

En mai 1973, les services ouest-allemands ont la preuve formelle que Günter Guillaume est bel et bien un agent. Les services préviennent le chancelier, mais laissent Günter Guillaume encore plus de huit mois en poste.

Durant l'été 1973, il peut ainsi accompagner le chancelier en Norvège à une conférence sur la sécurité en Europe et transmettre des documents classifiés à la RDA. Le flou a longtemps entouré l'importance des informations transmises par l'espion Guillaume, mais selon Ulrich Pfeil, les recherches ont montré que la plupart ne relevaient pas du plus haut niveau de sécurité.

Les autres raisons de la démission de Willy Brandt

Une réunion de "Willis" : Willy Brandt trinque avec l'ancien président du DGB Willi Richter et le maire de Francfort Willi Brundert, ainsi que son épouse, en 1964
Selon la presse à scandale, Willy Brandt était également fortement amateur de vinImage : Roland Witschel/dpa/picture alliance

Si la révélation de l'affaire Guillaume est un coup de tonnerre à l'époque, l'historien souligne toutefois que la démission de Willy Brandt, qui avait été réélu triomphalement en 1972, a aussi d'autres raisons.

A l'automne 1973, l'hebdomadaire Spiegel évoque déjà la chute possible d'un "chancelier en crise", qui laisse trop de place à son partenaire de coalition libérale.  Pour Ulrich Pfeil, la démission de Willy Brandt révèle ainsi les faiblesses d'un chancelier contesté au sein de son propre parti:

"Je pense que Brandt voulait le soutien de son parti mais qu'il ne l'a pas eu. c'est ça qui est l'élément déclencheur pour sa démission. On sait qu'il avait des phases de dépression... En 1973-74, la situation économique de l'Allemagne n'était pas glorieuse, il y avait le chômage, la crise pétrolière..."

Une autre des hypothèses avancées, soutenue par les affirmations de la presse à scandale, est que Günter Guillaume avait de quoi faire chanter le chancelier, notamment parce qu'il lui "fournissait des femmes"...

Echec du Kremlin et de la RDA

Egon Bahr avec Willy Brandt et Walter Scheel sur la Place rouge de Moscou
Avec l'Ostpolitik, Willy Brandt voulait normaliser les relations avec l'URSS et la RDAImage : Sven Simon/IMAGO

Au moment de la démission du chancelier, les journaux de la RDA n'évoqueront pas le nom de Günter Guillaume. Et ils ont une bonne raison, selon Ulrich Pfeil.

"La RDA ne voulait pas la démission de Brandt. Ils avaient intérêt à garder Brandt à la chancellerie, mais aussi le Kremlin : Brejnev à l'époque avait des bonnes relations avec Brandt et on peut dire que sa démission a été un échec pour la politique est-allemande et aussi pour la politique du Kremlin."

La personnalité de l'espion Guillaume est restée longtemps un mystère. Pour Pierre Boom, son fils, son père n'a jamais été un communiste convaincu. C'est ce qu'il confie à la Deutsche Welle en 2004, à l'occasion de la sortie de son livre "Le père étranger" :

"Je suis convaincu qu'il avait vraiment deux identités. Il a passé 20 ans de sa vie, ce qui n'est pas rien, à servir deux maîtres - l'un était Markus Wolf, le chef de l'espionnage de la RDA à l'étranger, et l'autre, qu'il vénérait également, était Willy Brandt. Et il était pris dans ce dilemme personnel. Je suis convaincu qu'il est resté fondamentalement étranger à lui-même."

Ulrich Pfeil est encore plus sévère sur la personnalité de l'espion qui a secoué l'Allemagne des années 1970:

"Günter Guillaume, ce n'était pas un John Le Carré ni un James Bond. Finalement c'était un espion assez médiocre, c'est pour cela que l'intérêt pour Guillaume s'est vu à travers Brandt, mais son personnage n'est pas très intéressant."

Après son arrestation le 24 avril 1974, Günter Guillaume est condamné à 13 ans de prison, sa femme à huit ans. Ils seront rendus à la RDA en 1981 dans le cadre d'un échange d'espions. Günter Guillaume finira ses jours en 1995, loin de sa femme - divorcée - et de son fils qui a quitté la RDA avant même la chute du Mur.

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L'artiste Grada Kilomba questionne le colonialisme

O barco, l'installation de l'artiste Grada Kilomba au musée d'Inhotim, représente le squelette d'un navire négrier
O Barco, le bateau, représente le squelette d’un navire négrier : 134 blocs de bois calcinés sont disposés sur 32 mètres de longueur. Image : Sarah Cozzolino/DW

Direction le Brésil, et le musée d’art contemporain d’Inhotim, plus grand musée à ciel ouvert d’Amérique Latine.

Situé à une soixantaine de kilomètres de Belo Horizonte, la capitale de l’état du Minas Gérais, il abrite une collection permanente et des expositions éphémères faites d’oeuvres monumentales dans un luxuriant jardin botanique.

Notre correspondante Sarah Cozzolino s’est rendue à l’inauguration de l’exposition de l’artiste portugaise Grada Kilomba. Une œuvre à la fois visuelle et auditive, qui questionne l’esclavage et le colonialisme.